Séismes liés à la géothermie près de Strasbourg : un rapport appelle à renforcer la «contre-expertise citoyenne»
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Energies
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Commandé à la suite de tremblements de terre entre 2019 et 2021, le rapport de la mission d’information et d’évaluation a été rendu public ce vendredi. Il préconise une meilleure prise en compte de l’avis des associations citoyennes pour éviter des erreurs.
Après une série de tremblements de terre en banlieue de Strasbourg, la géothermie profonde est devenue une source d’inquiétudes pour de nombreux habitants. Car la dizaine de séismes qui se sont produits entre 2019 et 2021 à Vendenheim, au nord de la capitale alsacienne, est liée à un puits de géothermie creusé en 2017 par la société Fonroche. C’est la conviction des sismologues, qui les ont classés dans la catégorie des événements induits par l’activité humaine. Certains d’entre eux, notamment en novembre 2019 et en décembre 2020, ont dépassé la magnitude 3 sur l’échelle de Richter.
Constatant les dysfonctionnements de la collaboration entre Fonroche et les services de l’Etat, l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) a commandé un rapport «sur l’accident de GéoVen (Géothermie Vendenheim) et ses conséquences sur les politiques énergétiques de la collectivité». Ce vendredi 19 novembre, la mission d’information et d’évaluation (MIE) sur la géothermie profonde, composée d’élus locaux, d’experts scientifiques, de militants associatifs et de six citoyens tirés au sort sur la base d’un appel à volontaires, rendait ses travaux à la collectivité.
«Les oppositions ne sont pas entendues»
Dans son rapport, consultatif, la MIE préconise de faire évoluer le code minier pour «améliorer la prise en compte de l’information citoyenne». Président de la MIE, l’écologiste strasbourgeois Marc Hoffsess admet une erreur lors du lancement de la géothermie profonde dans l’Eurométropole : «Les oppositions citoyennes n’ont pas été assez entendues.» Le rapport préconise donc de «donner les moyens aux associations d’améliorer leur capacité d’analyse des projets pour réaliser une véritable contre-expertise citoyenne».
Pour Thierry Mosser, cofondateur du collectif GéoNom (pour Géothermie Non Merci), cette expertise citoyenne est cruciale. Son camarade de lutte Francis Spaeter dénonce une collusion visible dans les informations communiquées par la préfecture ou l’Eurométropole : «Dès qu’on entendait parler de géothermie, on nous présentait des documents de l’entreprise Fonroche.» Afin de développer une expertise indépendante, qu’il a présentée lors de plusieurs conseils municipaux, Thierry Mosser a passé près de trois ans à se former sur le sujet de la géothermie profonde.
Habitant d’Oberhausbergen, l’ingénieur de 60 ans a débuté son engagement contre la géothermie lorsque l’entreprise Fonroche a obtenu une autorisation de forer dans une commune voisine. Aujourd’hui, Thierry Mosser craint que ce rapport n’empêche pas la reprise de l’activité sur décision de la préfecture : «La préfète a clairement rappelé le caractère consultatif de la MIE, elle prendra sa décision sur la poursuite des projets de géothermie sur la base des rapports du Bureau de recherches géologiques et minières et de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques.»
Des indemnisations «longues à se mettre en place»
Le rapport porte aussi des préconisations concernant l’indemnisation des dégâts causés par les séismes. La MIE déplore des «procédures longues à se mettre en place et qui restent incertaines pour les communes et les victimes». Robert (le prénom a été modifié) en a fait les frais. Habitant de la commune de La Wantzenau, le retraité a vu sa baie vitrée fendue suite au séisme de magnitude 3,5 du 4 décembre 2019. Aussi propriétaire d’un appartement voisin de sa maison, il y a relevé plusieurs fissures, notamment au niveau de la douche.
Robert a vu plusieurs experts se succéder face aux dégâts. Mais le résultat reste le même : «C’est mon assurance qui doit payer. D’après Fonroche, ils ne sont pas responsables.» Le retraité estime que les travaux à réaliser pourraient lui coûter 2 000 euros au total. A la mi-juillet 2021, 3 385 dossiers de demande d’indemnisation étaient enregistrés. «A cette date, selon le rapport de la MIE, 125 indemnisations ont été effectuées par les assureurs du groupe Fonroche, pour un montant moyen de 1 973 euros.»
«Réflexion cruciale pour l’avenir»
Sur l’avenir de la géothermie sur le territoire de l’Eurométropole, le rapport illustre la division des élus et des citoyens. Certains élus, des communes les plus touchées par les séismes, souhaiteraient bannir la géothermie, tout court. D’autres, comme le président de la MIE, soutiennent une géothermie moins profonde, moins expérimentale, avec «une priorité donnée à la production de chaleur, une connaissance avérée de la ressource ciblée et un consensus territorial pour les projets dans les communes concernées.» Au vu de ces conditions, Thierry Mosser espère, sans trop y croire, que les projets de Fonroche ne reprendront pas dans les communes d’Eckbolsheim et Hurtigheim, à l’ouest de Strasbourg : «Après tous ces séismes, la plupart des habitants de l’Eurométropole et environs ne sont pas prêts à accepter la reprise de la géothermie profonde.»
La métropole strasbourgeoise compte toujours sur les puits de géothermie profonde pour assurer 20 % des besoins d’énergie de la collectivité en 2050. «Ce rapport constitue une réflexion cruciale pour l’avenir du territoire, bien que les compétences de l’Eurométropole soient limitées dans ce domaine», a rappelé la présidente de l’EMS, Pia Imbs, lors de la remise ce vendredi. Le rapport souligne en effet que l’Etat doit être sollicité «pour une association étroite des collectivités concernées françaises et allemandes à toute décision concernant les projets de géothermie». En attendant, le puits de Vendenheim a été définitivement fermé en décembre 2020, alors qu’il était encore en phase exploratoire. Il n’aura donc jamais produit de chaleur ou de l’électricité.